RDC: Le découpage des provinces, est-ce une réussite six ans après? [tribune Matata]

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Dans une tribune publiée depuis Conakry où il se trouve en tant que coordonnateur de l’action gouvernementale en Guinée, le premier ministre honoraire Augustin Matata Ponyo est revenu sur la question du découpage en RDC rendu effectif depuis 2015.

Bien qu’opportun conformément à l’article 2 de la Constitution, le premier ministre honoraire pense qu’il est difficile de répondre par l’affirmative lorsque l’on compare la situation économique et sociale des provinces avant et après le découpage. « A l’exception de quelques provinces qui bénéficient principalement des retombées de l’exploitation de ressources minières comme le Luluaba, l’Ituri, le Haut-Katanga, le Nord Kivu, le reste des provinces, y compris Kinshasa, n’a pas connu de réels progrès, bien au contraire », a-t-il affirmé. Avant d’ajouter que cela est « principalement dû au déficit de leadership et de gouvernance », poursuit-il.

A l’époque, au moment du découpage,« je  l’avais déjà dit,  le découpage est pertinent, mais tout dépendra du type de gouverneur que l’on désignera à la tête de chaque province » affirme Matata Ponyo.  

Après six ans,  Matata revient sur la question de la gouvernance financière et  le choix des animateurs des provinces.

Pour Matata Ponyo il faut absolument replacer la gestion des provinces dans la logique de développement. Sinon, pourquoi avoir découpé les provinces si la réforme est loin d’apporter le progrès économique de ces dernières.

Afi’du 

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Ce que je pense est que le découpage des provinces était opportun. Conformément à l’article 2 de la Constitution, il a été opéréen2015 alors que j’étais Premier ministre. De 11 provinces existantes auparavant, la RDC, le deuxième pays le plus vaste du continent africain avec ses 2.345.000 km2, en compte 26 aujourd’hui. Toutes les provinces ont été découpées, à l’exception des provinces du Kongo central, Nord Kivu, Sud Kivu et Maniema.

A noter que les trois dernières résultaient déjà d’un découpage à titre expérimental de l’ancienne province du Kivu. La « Région » du Kivu (selon la dénomination administrative et territoriale de l’époque), avec comme capitale Bukavu, avait deux « sous-régions », l’une du Nord-Kivu, avec Goma comme chef-lieu, et l’autre du Maniema, avec Kindu comme chef-lieu. Les deux sont devenues des régions (provinces) à part entière en 1988. C’était la première expérience mais qui n’avait malheureusement pas continué.

De 9 régions initialement, l’on était monté à 11 et on en était resté là. Ce que je pense est que le découpage des provinces, resté en hibernation depuis l’époque du Président Mobutu, s’est plutôt accéléré en 2014. Pour certains, c’était pour des objectifs politiques visant à anéantir certains gouverneurs devenus puissants et ambitieux du fait du poids économique des provinces qu’ils dirigeaient ; pour d’autres, c’était pour des objectifs purement socio-économiques cherchant à garantir le développement harmonieux des provinces. 

Quelles que soient les variables d’ordre politique qui se seraient glissées dans la résolution rapide de l’équation du découpage, celui-ci demeurait incontournable au regard des défis majeurs du développement des provinces. En effet, si les conditions de vie dans certaines provinces semblaient acceptables par rapport à leurs niveaux à l’indépendance politique en 1960 du fait essentiellement de leurs dotations en ressources naturelles et/ou positionnement géographique à la frontière du pays, celles d’autres provinces, par contre, étaient devenues de plus en plus préoccupantes. Pour la plupart d’entre elles, le niveau de vie de la population avait remarquablement baissé.

Ce que je pense est qu’en dépit des réserves qui peuvent être formulées par certains analystes politiques, notamment en ce qui concerne la pertinence et la précision des frontières par rapport aux réalités linguistiques et culturelles sur terrain, il se dégage que le découpage de ce vaste pays qui vaut 80 fois la Belgique et 5 fois la France, était très attendu et accepté par la majorité de la population.

Il ne pouvait pas en être autrement étant donné que l’une des raisons principales de ce découpage était de rapprocher les administrés des dirigeants au regard de l’étendue de toutes les provinces. A titre d’exemple, l’ancienne province Orientale valait 503.239 km2, soit deux fois le Royaume uni, et l’ancienne province de l’Equateur, plus grande que l’Allemagne, couvrait 403.292 km2. Cette dernière province, située au nord du pays à la frontière avec la Centrafrique, a été répartie en cinq autres nouvelles provinces. La province du Nord Kivu, déjà découpée en 1988, vaut en termes d’espace le Rwanda et le Burundi inclus.

En effet, plusieurs gouverneurs de province étaient incapables de suivre de manière efficiente le niveau de développement de leurs territoires respectifs qu’ils pouvaient ne pas les visiter pendant plusieurs années du fait notamment de carence en infrastructures de transport et de communication. La question que l’on peut se poser aujourd’hui est celle de savoir si, six ans après son entrée en vigueur, le découpage a réellement répondu aux attentes de la population. En d’autres mots, le développement des provinces est-il au rendez-vous ?

Un choix déficient des gouverneurs

Le premier ministre honoraire  pense qu’il est difficile de répondre par l’affirmative lorsque l’on compare la situation économique et sociale des provinces avant et après le découpage. A l’exception de quelques provinces bénéficiant principalement des retombées de l’exploitation de ressources minières comme le Luluaba, l’Ituri, le Haut-Katanga, le Nord Kivu, le reste des provinces, y compris Kinshasa, n’a pas connu de réels progrès, bien au contraire. Cela est principalement dû au déficit de leadership et de gouvernance. A l’époque, au moment du découpage, je l’avais déjà dit : « le découpage est pertinent, mais tout dépendra du type de gouverneur que l’on désignera à la tête de chaque province ». Or, il s’observe que le choix de gouverneurs de provinces demeure globalement déficient. Au lieu de privilégier le critère de compétence, le choix des gouverneurs est basé, pour l’essentiel, sur des critères subjectifs tels que : militantisme, témérité, affairisme, fraternité, amitié, etc.

La plupart d’entre eux n’ont jamais géré auparavant même une petite structure, qu’elle soit privée ou publique. Certains gouverneurs n’ont jamais vécu dans les provinces avant de les diriger. Sauf exception, les gouverneurs ne vivent pas avec leurs familles en provinces.

Parachutés à la tête d’une province, sans savoir ce qu’il faut faire effectivement, nombreux se lancent souvent dans le militantisme politique et l’affairisme, laissant ainsi après leur départ les provinces dans un état pire que celui dans lequel ils les ont trouvées à leur nomination. L’objectif principal que s’assignent souvent les gouverneurs désignés étant d’une part, de garantir les assises politiques du pouvoir central à Kinshasa, et d’autre part, de se servir financièrement. On a ainsi vu des gouverneurs chassés par la population de leurs provinces après y avoir passés près de dix ans comme chef de l’exécutif! Bien plus, des gouverneurs originaires de ces mêmes provinces !

Ce que je pense est que s’agissant particulièrement de la gouvernance financière, il est de notoriété publique, que les comptes des provinces, sauf quelques cas, sont généralement mal gérés. Les régies financières créées dans chaque province constituent plutôt des caisses d’assistance politique et privée que d’agences d’appui au développement. Les ressources rétrocédées du gouvernement central sont gérées de manière inefficiente qu’il est difficile de savoir  à quoi elles servent effectivement. Eu égard à cet état de choses, la question que l’on peut vite se poser est celle de savoir à quoi serviraient les 40% de rétrocession de recettes à caractère national prévus par la Constitution si elles étaient effectivement allouées dans leur totalité aux provinces par le gouvernement central ?

A quoi servirait la Caisse de péréquation si les ressources qu’elle doit allouer aux provinces moins nanties ne serviront nullement aux besoins de développement ? Tant que ces questions resteront sans réponse, le découpage n’aura jamais répondu aux préoccupations de fond de sa survenance, c’est-à-dire le développement équilibré de différentes provinces.

Ce que je pense est qu’il faut absolument replacer la gestion des provinces dans la logique de développement. Sinon, pourquoi avoir découpé les provinces si la réforme est loin d’apporter le progrès économique de ces dernières ? Les candidats gouverneurs doivent être choisis en fonction de leur compétence, expérience et intégrité. Ils doivent avoir une vision claire et des objectifs précis pour le développement de leurs provinces respectives en cohérence avec la vision et les objectifs de développement globaux du pays. La gestion des ressources rétrocédées doit être rationnelle. Et les organes de contrôle financier des provinces doivent fonctionner de manière efficace au lieu d’être au service de responsables de provinces. A ce sujet, les assemblées provinciales doivent constituer plutôt de contrepoids des gouvernorats de province que d’être des alliés dans la mauvaise gouvernance. Pour certains cas, on a vu les assemblées provinciales voter pour le départ de gouverneurs mauvais gestionnaires. Malheureusement, les gouverneurs destitués sont souvent soutenus, pour des raisons politiques, par le gouvernement central en violation des règles et lois de la république en la matière. Que peut-on attendre d’un gouverneur détesté par la population qu’il dirige, destitué par l’assemblée provinciale qui l’a investi, mais maintenu de force par le gouvernement central par des mécanismes anticonstitutionnels !

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