L’accord conclu fin juin entre les présidents rwandais Paul Kagame et congolais Félix Tshisekedi sur la traçabilité de l’or extrait en RDC est observé d’un œil inquiet par leur homologue et voisin, Yoweri Museveni, chef de l’Etat ougandais. Le Rwanda et l’Ouganda sont les principaux points de transit de l’or extrait en RDC avant son exportation hors d’Afrique ce qui peut rapporter gros pour l’un ou l’autre pays. Ayant compris l’enjeu, le Rwanda et l’Ouganda se sont lancés dans un véritable bras de fer afin d’obliger Kinshasa à favoriser l’un ou l’autre.
Le Rwanda semble avoir gagné la dernière bataille avec la signature entre Felix Tshisekedi de la RDC et Paul Kagamé de l’accord sur la traçabilité de l’or extrait en RDC. Le président ougandais Yoweri Museveni fait tout pour ne pas avoir encore perdu la guerre.
Alors que les revenus que son pays a tirés de l’or se sont élevés à 2 milliards de dollars sur l’année fiscale qui court du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, affirme africa intelligence, Museveni craint que la nouvelle entente entre Kigali et Kinshasa n’entraîne leur baisse. Selon le texte signé par Kagame et Tshisekedi, l’or produit par la compagnie publique congolaise Sakima (Société aurifère du Kivu et du Maniema) sera raffiné par l’entreprise rwandaise Dither. La sécurité des cargaisons sera assurée conjointement par les armées des deux pays.
Dither était jusque-là inconnue dans le secteur, et l’unique raffinerie d’or du Rwanda est officiellement à l’arrêt du fait de différends avec l’Etat. De plus, la production de la Sakima est faible en comparaison des plus de 800 000 onces annuelles de Barrick Gold Corp sur sa mine de Kibali, dans le Haut-Uele, et surtout des dizaines de tonnes extraites puis exportées illégalement depuis la RDC, notamment vers l’Ouganda. Néanmoins, la société d’Etat Sakima reste l’un des principaux détenteurs de gisements miniers dans l’est de la RDC et une voie d’accès essentielle vers les décideurs dans le pays.
L’accord donne par ailleurs une grande latitude aux Forces armées rwandaises (FAR) pour sécuriser la supply chain minière dans les provinces de l’est de la RDC, ce qui pourrait in fine détourner largement le trajet de l’or congolais vers le Rwanda, au détriment de l’Ouganda. Ceci fait craindre à Museveni des pertes majeures de revenus, ainsi que de vrais problèmes pour l’économie de son pays. L’Ouganda gagne en effet pour l’instant d’importants revenus grâce au transit d’or congolais via son territoire, et notamment par ses raffineries – African Gold Refinery, Bullion Refinery et Simba Gold Refinery -, avant envoi vers d’autres continents.
L’enjeu est aussi sécuritaire. Pour Museveni, la présence de militaires rwandais dans une province congolaise frontalière de l’Ouganda, le Nord-Kivu (car la Sakima y est présente), lui fait craindre un regain d’insécurité, tant son armée et celle de Kigali se détestent. Très opposées depuis les guerres civiles en RDC dans les années 1990, les forces ougandaises et rwandaises ont vu leurs relations se tendre de plus en plus. Surtout après les révélations en juillet dernier de l’affaire Pegasus, qui indiquent que Kigali a espionné les téléphones d’officiels et militaires de Kampala. Or, 1 600 soldats ougandais sont postés de part et d’autre de la frontière congolaise afin de lutter contre les groupes rebelles islamistes dans la zone poursuit africa intelligence.
C’est que ce secteur revêt une importance extrême pour Museveni. Le président ougandais considère l’exploitation des gisements d’hydrocarbures du lac Albert par les majors TotalEnergies et Cnooc comme un axe essentiel de développement pour son pays. Il ne peut risquer d’y voir grandir l’insécurité comme au Cabo Delgado mozambicain, où les groupes pétroliers ont suspendu leurs projets du fait des attaques de groupes djihadistes autoproclamés.
La contre-attaque de Museveni
Pour contrer cette offensive de Kagame, qui a réussi à réchauffer les relations de son pays avec la RDC après des années de vives tensions et en profite pour saisir toutes les opportunités d’affaires possibles, Museveni a sorti l’artillerie lourde. Si le chef d’Etat rwandais s’appuie dans ses relations avec Tshisekedi sur son conseiller sécurité et ex-ministre de la défense, le général James Kabarebe, qui fut chef d’état-major de l’armée congolaise sous le président Laurent-Désiré Kabila, Museveni peut aussi compter sur ses hommes pour consolider ses rapports avec la RDC.
Le chef du renseignement militaire ougandais Abel Kandiho, qui a longtemps travaillé en RDC, ainsi que celui des forces de défense, Wilson Mbadi, originaire du district de Kasese – frontalier avec la RDC – et parlant ainsi la même langue que ses voisins congolais, aiguillent Museveni dans sa stratégie.
Museveni s’appuie également sur son ministre des transports, le général Edward Katumba Wamala, pour s’entretenir avec le gouvernement congolais sur l’un des axes majeurs de la stratégie de Kampala dans ses relations avec Kinshasa, les infrastructures, et rappeler l’importance pour la RDC de l’aide ougandaise dans ce secteur. Les autorités de Kampala se sont engagées à construire plus de 200 km de routes dans l’est de la RDC via des sociétés ougandaises afin de sécuriser la région . Une aide essentielle pour le président Tshisekedi, qui a décrété l’état de siège en mai dans les deux provinces frontalières de l’Ouganda, l’Ituri et le Nord-Kivu, face à l’instabilité grandissante. L’Ouganda prévoit également de mettre sur pied une ligne de transmission électrique pour alimenter plusieurs villes importantes de l’est congolais : Beni, Butembo et Bunia.
Tsieleka